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Photo du rédacteurlucinedoula

Lucine&Compagnie...quelques pratiques et croyances féminines dans l'Antiquité gréco-romaine.


Un article qui me replonge quelque peu dans ma formation initiale de philologue classique et qui se veut bref... Autant que faire ce peut!

Tant il y aurait à détailler sur ce vaste sujet qu'est cette divinité féminine primordiale dans la religion antique: Junon (Héra dans la mythologie grecque).


Dans l'Antiquité, chaque moment de la vie est ponctué de croyances, d'actes "magiques" et/ou religieux.

La conception et l’enfantement sont des moments protégés par les divinités. Celles-ci sont nombreuses à chaque étape de la venue au monde, elles se tiennent autour de la parturiente et des femmes qui l'accompagnent: obstetrix (sage-femme) et doula (esclave féminine qui assiste la sage-femme et qui vient soutenir la femme qui accouche).


Pour illustrer ce propos, voici un extrait tiré de Saint Augustin dans La Cité de Dieu, IV, 11.

Dans le texte, St Augustin, Père de l'Eglise, ramène chaque divinité à Zeus dans une vision monothéiste des choses. […] Ipse sit Diespater, qui partum perducat ad diem; ipse sit dea Mena, quam praefecerunt menstruis feminarum, ipse Lucina, quae a parturientibus inuocetur; ipse opem ferat nascentibus excipiendo eos sinu terrae et uocetur Opis, ipse in uagitu os aperiat et uoceturdeus Vaticanus; ipse leuet de terra et uocetur dea Leuana, ipse cunas tueatur et uocetur<dea> Cunia. « […] Qu’il soit Diespater (Zeus littéralement le Père du jour/Père lumineux ndlr), menant la grossesse au jour du terme; qu’il soit la déesse Mena (de Mensis-mensis le mois ndlr ) que l’on prépose aux règles des femmes; Lucina, qui est invoquée par les parturientes;

qu’il assiste les nouveau-nés en les recevant au Coeur de la terre (sinu terrae ndlr) et qu’on le nomme Opis (Ops déesse la fertilité et de l'abondance également ndlr) ; qu’il ouvre leur bouche au cri et qu’on le nomme Vaticanus; qu’il les soulève de la terre et qu’on le nomme Levana ; qu’il protège les berceaux et qu’on le nomme Cunia


Lucina comme nous le verrons dans la suite de cet article est l'une des nombreuses épithètes données à Junon.


Junon: Une déesse pour la Vie!


Junon est omniprésente dans la vie des femmes romaines. Veillant sur elles dès leur naissance et dans les grandes étapes de leur parcours. Elle est représentée avec différents attributs dont le sceptre qui l'accompagne et symbolise sa puissance!


Puissance féminine...Accoucher à Pompéi:

Une magnifique plaquette d'ivoire, Pompéi, 1er siècle après JC. (Naples, Musée national d'archéologie).

On y voit une parturiente sur siège d'accouchement, soutenue par une autre femme (peut-être une doula!), elle semble prendre appui sur un bâton qui suggère le sceptre et la puissance de Junon. La sage-femme est assise devant la femme (obstetrix: celle qui se tient devant!) et une 4ème femme est présente symbolisant peut-être une présence divine. Notons aussi la présence de l'arbre à l'arrière plan, symbole de fertilité, vie et abondance!


Les différents visages de Junon...partenaires officielles de la conception et de l'accouchement dans l'Antiquité romaine!

Parmi les différentes formes adoptées par la puissante déesse, citons d'abord la petite Junon personnelle qui veille sur la vie de chaque femme. C'est une sorte d'ange-gardien avant l'heure... Chaque petite fille recevait la protection d'une Junon personnelle alors que les petits garçons recevaient un Genius qui leur était propre... Les Anciens célébraient d'ailleurs leur protecteur attitré lors de leur date anniversaire en leur offrant un morceau de galette...ancêtre de notre gâteau d'anniversaire!


Junon Februlis (Februtis) liée à la purification mais aussi à la fertilité...fertilité des troupeaux mais également des femmes.

Les Februalia feront l'objet d'un article ultérieur.


La déesse Junon Martialis, accompagne la parturiente et l'obstetrix...elle est d'ailleurs représentée avec des ciseaux d’accouchement qui comptent parmi les instruments des sages-femmes!



Iuno Lucina:

Parfois considérée comme fille de Junon selon de rares traditions primitives, Lucine est plus couramment acceptée comme ne faisant qu'une avec la grande déesse Junon.

Il s'agit alors de l'épithète accolée à Junon. Celle-ci devient alors Junon Lucine symbolisant alors la LUMIERE!

Lumière de la Vie vers laquelle l'enfant s'achemine; Lucina étant un dérivé direct de LUX-LUCIS signifiant la Lumière. Elle est d'ailleurs souvent représentée avec un flambeau.

Dans cet attribut lumineux, remarquons qu'elle est savamment et puissamment liée à son mari Zeus/Jupiter Diespater!

C'est également Lucine qui présidait également aux Matronalia, la fête des Mères de famille, célébrée au mois de mars dans un bois sacré. Vu que le mois de mars marquait le début de l'année chez les Romains, il semble donc logique d'associer la déesse de la naissance au renouveau et au commencement d'une nouvelle année!


Rituel: Célébrer la présence de Lucine pour un accouchement.


Les femmes qui entourent la parturiente offrent des sacrifices pendant le travail... Dès que l'enfant est né, on allume des flambeaux dans la chambre pour saluer et remercier Iuno Lucina. Une table est dressée en son honneur pendant une semaine et on l'accueille également par un lit qui lui est réservé dans la pièce principale de la maison.


Lucine est associée au côté lumineux de Ilithyie, déesse spécifique à l’enfantement.


Ilithyie: Celle qui dénoue, celle qui vient et qui fait venir...



Accouchement, figurine en terre cuite, Chypre, 5ème siècle avant JC.


Généralement présentée selon la tradition comme l'une des filles de Héra et de Zeus, elle est LA déesse grecque indispensable à la tenue du travail!

Elle va à la fois mettre le travail en route et de là commencer à dénouer la mère et l'enfant...

C'est dans ce cadre qu'elle sera associée et parfois confondue avec la Déesse des Membranes: AMNIAS (en référence à l'Amnios la membrane qui recouvre le placenta!)

C'est également Ilithye qui va faire progresser le travail grâce aux contractions et c'est elle qui amènera l'enfant à la Lumière...elle est également représentée par des flambeaux, on voit clairement le lien avec Lucina!


Elle est selon certains auteurs "la puissance divine indispensable à la tenue du TOKOS: l'enfantement". Des offrandes lui étaient faites afin de faciliter un OKUTOKON: un enfantement rapide...Vous avez sans doute remarqué la racine de notre mot OCYTOCINE!


Est-ce à cause d'une assimilation avec d'autres déesses ou à cause de ses rôles nombreux qu'Ilithye se dédouble parfois?

Comme par exemple dans ce passage d' Homère: Iliade XI, 269-272 où l'auteur nous donne sa vision des choses en comparant les blessures des guerriers à la douleur du travail d'accouchement...


« Comme une femme en plein travail souffre du trait cruel

Que lui décochent tout à tour les sombres Ilithye,

Ces deux filles d’Héra qui font le travail si amer».



...Comme la Lune elle devient triple déesse!


Faut-il y voir un rapprochement avec les trois phases de l'accouchement?


La question mérite certainement d'être posée et ce point titille fortement ma curiosité de doula!


Le fait que certains auteurs font de notre déesse une triple entité s'explique facilement par ailleurs: il s'agit là d'une association avec les déesses du Destin: les Moires (ou Parques) qui tissent, déroulent et coupent le fil de la Vie. Les Moires sont d'ailleurs évoquées avec Ilithye comme les déesses qui poussent les cris rituels lorsque l'enfant vient au monde... Les fameux "YouYous" qui célèbrent encore de nos jours une émotion collective et qui existaient déjà en Grèce antique!


Et pour terminer cet article, je laisse la parole à l'un de mes auteurs latins préférés:

HORACE, CARMEN SAECVLARE (Chant séculaire): extrait.


Sous quelque nom que l’on t’invoque

douce Ilithyie, Lucine, Génitrice,

Toi qui ouvres la voie aux fruits mûrs de la vie,

Accorde ta protection aux mères.

Assure-nous, Déesse, une ample descendance,

Favorise les décrets des Pères sur les unions.

Que cette loi sur les mariages soit la promesse

D'une fécondité nouvelle.



Sesterce romain du IIème siècle après J.-C. représentant Junon Lucine debout entre deux petites filles et portant un enfant dans ses bras.


Sources:





Livres/e-books.


Religions de l' Antiquité, considérées principalement dans leurs formes symboliques et mythologiques ouvrage traduit de l'allemand du Frederic Creuzer: Premiere section. Grandes divinités de la Grèce, et leurs analogues en Italie, Volume 2.


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